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Photo du rédacteurAntoine Renaux

L’année 2021 : Quelles mutations dans les relations internationales dans un monde post-Covid-19?

Dernière mise à jour : 21 févr. 2021



Le 16 mars dernier, le président Emmanuel Macron, face à la tourmente de l’épidémie de Covid-19, répétait à six reprises « Nous sommes en guerre ». Ainsi, face à une situation de crise sanitaire, la métaphore guerrière a été reprise par l’exécutif français pour souligner la gravité de la menace, dans le sillage des déclarations de guerre du président François Hollande au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Le retour du vocabulaire guerrier en France révèle ainsi un bouleversement dans le paysage politique et géopolitique, succédant tragiquement au discours de la « fin de l’Histoire ». Plus subtilement, les déclarations de l’ancien ministre de la Défense du président Hollande, Jean-Yves Le Drian, actuel ministre des affaires étrangères le 20 avril dernier, « La pandémie est la continuation, par d’autres moyens, de la lutte entre puissances », laissent entrevoir le constat d’un renouveau des politiques de puissances dans le monde.


Cet article a pour objectif d’établir un portrait des rapports de force mondiaux dans lesquels sont imbriqués, l’impact de la crise sanitaire sur les tensions internationales ainsi que les tendances stratégiques profondes observées en 2020 dans l’ombre médiatique de la pandémie mondiale. Toutefois, en raison de la complexité et de la variété des enjeux abordés, ce document ne se bornera qu’à énumérer les différentes tendances. En effet, des analyses thématiques plus approfondies seront disponibles par la suite sur les différents enjeux abordés ici.


Le monde post-Covid-19 : une nouvelle « guerre froide » sino-américaine


Adaptant le 20 avril dernier la célèbre formule de l’officier et théoricien de la guerre Carl Von Clausewitz, « La guerre n’est que la poursuite de la politique par d’autres moyens », Jean Yves Le Drian ne cache pas un certain scepticisme sur l’avenir des relations internationales. Il déclare: « Je lis et j’entends que le monde d’après n’aurait rien à voir avec le monde d’avant. Je partage ce vœu, mais c’est de l’ordre de la prédiction. Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire ». Ces propos s’inscrivent dans le cadre des accusations mutuelles entre gouvernements américains et chinois concernant l’origine de la pandémie. Ainsi, Washington et Beijing se sont mutuellement accusés d’avoir créé la Sars-Covid-2 comme arme biologique. Ces déclarations fantaisistes apparaissent comme anecdotiques, mais soulignent toutefois la prépondérance de la rivalité sino-américaine comme structurante au XXIe siècle. Ainsi, Pierre-Henri d'Argenson, ancien haut-fonctionnaire et professeur à Sciences Po, écrit pour Le Figaro « Nous [Européens] entrons dans une nouvelle guerre froide qui pourrait marquer notre sortie de l’Histoire ». De ce fait, les déclarations accusatrices des présidents Donald Trump et Xi Jinping agissent comme un révélateur des tensions exacerbées entre les États-Unis et les pays occidentaux avec la Chine, dessinant ainsi le portrait de l' ordre international.


Selon le politologue Jean Yves Haines de l’ILERI pour la Conférence Olivaint, la situation sanitaire mondiale peut être considérée comme le révélateur des tendances géopolitiques profondes de la mutation de l’ordre international. Plus précisément, le politologue explique que les enjeux internes et notamment la gestion de l’épidémie se traduisent sur la scène internationale. La difficulté de gestion de la crise sanitaire aux États-Unis démontre donc un phénomène de faiblesse de l'exécutif, causé par la polarisation de la société américaine. Cette tendance n'apparaît pas comme une nouveauté suite aux échecs américains en Irak et en Afghanistan après deux décennies d’interventionnisme. La Chine quant-à-elle, 2ème puissance économique et concurrente politique de la puissance américaine, s’est affirmée durant l’épidémie par une propagande minimisant l’ampleur de l’épidémie, mais également une puissance commerciale de premier plan dans le domaine des équipements de protection tels que les masques, le gel hydroalcoolique et les respirateurs médicaux, mais également les divers produits pharmaceutiques.


Le monde stratégique post-Covid-19, un environnement encore plus complexe que l’ordre bipolaire


Il apparaît difficile d’anticiper les évolutions majeures des équilibres stratégiques en plein sillage de l’épidémie et du changement de leadership à Washington. Toutefois il semble probable que les mutations de l’ordre international vers des équilibres précaires et une situation conflictuelle se poursuivent. En effet, le nouveau président américain Joe Biden a déclaré que “l’Amérique est de retour” et a multiplié les annonces de fermeté de Washington contre Beijing, Moscou et Téhéran. Il apparaît alors comme probable que la rivalité sino-américaine va concentrer l’attention de Washington dans le sillage de la politique de redéploiement vers le “pivot asiatique” du président Obama, délaissant plusieurs autres dossiers internationaux. En effet, cette hypothèse peut être envisagée au regard des difficultés actuelles de la gestion de la crise sanitaire aux États-Unis, ainsi que les enseignements de deux décennies d’échecs au Moyen-Orient où Washington a délaissé la montée en puissance de la concurrence chinoise.


Malgré l’aspect structurant de la compétition politique et économique sino-américaine, les enseignements géopolitiques de la pandémie mondiale actuelle révèlent les contours d’un ordre international encore plus complexe et fracturé qu’une simple nouvelle guerre froide opposant Beijing et Washington. En effet, le relatif déclin américain et l’attention portée à la puissance chinoise montante, constatée par le président Obama puis poursuivi par son successeur, a favorisé la montée de nouveaux acteurs régionaux dans plusieurs dossiers, tels que l’activisme de la Turquie en Méditerranée, l’influence de la rivalité irano-saoudienne au Moyen-Orient ainsi que le retour de la Russie. Ainsi, la multiplication des acteurs sur l’échiquier mondial favorise une fragmentation et un regain de conflictualité internationale. Cette tendance peut être soulignée au regard de nombreux événements géopolitiques de l’année 2020, éclipsée par la crise sanitaire, comme les affrontements militaires sino-indiens sans précédent aux frontières, le regain de tensions entre la Grèce et la Turquie en Méditerranée, ainsi que le court et intense conflit arméno-azerbaidjanais dans la province caucasienne du Nagorno Haut Karabagh.


La poursuite des ambitions russes et l’affaiblissement de l’Europe


Par ailleurs, à l’Est de l’Europe, l’ancien acteur majeur du XXe siècle, la Russie héritière de l’Union Soviétique, est apparue durant la gestion de la crise sanitaire comme un acteur actif à l’échelle internationale. Il est intéressant de constater l’envoi de médecins militaires russes en soutien aux autorités italiennes en avril 2020, lequel occasionna des réactions d’hostilité de plusieurs États membres de l’OTAN et de l’UE. Plus récemment, le développement du vaccin russe contre la Covid-19, surnommé Sputnik V en référence au premier engin spatial soviétique dans le cadre de la guerre froide et décrit par les autorités russes comme “efficace et fiable comme une Kalachnikov", ainsi que les débats relatifs à son efficacité dans les pays occidentaux, traduisent une poursuite de la méfiance réciproque entre les pays occidentaux et la Russie. À cette utilisation de la crise comme outil de politique étrangère s’ajoute comme enjeu de conflictualité en Europe la poursuite de la crise ukrainienne depuis 2014, l’instrumentalisation des manifestations en Biélorussie, mais aussi l’affrontement médiatique et diplomatique entourant l’affaire Navalny.


Ces mutations stratégiques ont de profondes conséquences pour l’Europe, déjà lourdement touchée par la crise. En proie aux conséquences économiques de la crise sanitaire, les institutions européennes ont largement communiqué sur les actions de gestion de crise par Bruxelles, notamment la mise en place d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros. Toutefois, derrière cette stratégie de communication, de nombreuses critiques s’élèvent, relatives aux divisions constatées entre États sur leurs contributions au plan de relance. Une division accrue des Européens a été observée entre les États du Sud durement affectés (Italie et Espagne) et les pays dits “frugaux”, prospères et faiblement touchés par la crise (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède), ainsi qu’une aggravation des tensions entre Pologne et la Hongrie contre les institutions européennes. Il est ainsi intéressant de noter la stratégie hongroise de commandes du vaccin russe Sputnik V, s’affranchissant de la stratégie de vaccination. Enfin, face à l’affirmation de la Chine, de l’activisme de la Russie ou encore de la dégradation sécuritaire au Moyen-Orient, les capitales européennes ont favorablement accueilli le scrutin présidentiel aux États-Unis, posant la question de l’avenir de l’autonomie stratégique européenne. Déjà en 2019, les propos sur la “mort cérébrale de l’OTAN” d’Emmanuel Macron avaient rencontré l’hostilité de la part des gouvernements d’Europe centrale et le scepticisme de l’Allemagne traditionnellement atlantiste. Alors que la présidence Trump se referme, un enterrement de ce projet peut être à prévoir, tandis que l’ordre international se fracture davantage dans le sillage de la crise sanitaire mondiale.


Conclusion


L’épidémie mondiale a eu pour principale conséquence d’accélérer les mutations profondes de l’ordre stratégique international, notamment la montée en puissance de la Chine face à une hyperpuissance américaine durement affaiblie par deux décennies d’interventionnisme. La rivalité sino-américaine va ainsi se révéler prépondérante, sans toutefois dessiner un ordre international similaire à la guerre froide. En effet, la guerre froide s’est caractérisée par une logique une logique d’affrontements entre blocs propre, motivée avant tout par une compétition idéologique. Or, actuellement Beijing semble ignorer la logique de blocs et n’apparaît comme motivée par l’exportation de son modèle idéologique et politique. Les quelques similarités entre les deux époques qui pourront s’observer, tels que l’affrontement tous azimuts dans les domaines économiques, culturels et diplomatiques, sous le spectre d’un conflit armé d’ampleur en raison de la dissuasion nucléaire. En parallèle de cette compétition sino-américaine, l’ordre stratégique international risque également de partager des similarités avec l’Europe westphalienne du 19e siècle, c’est-à-dire un monde fragmenté et conflictuel porteurs d’affrontements sur les territoires aux carrefours civilisationnels et des zones d’influence géopolitiques. Plus précisément, la persistance du conflit ukrainien, les affrontements militaires sino-indiens aux frontières ou encore le court conflit du Nagorno-Haut Karabakh apparaissent comme des signaux faibles d’un avenir conflictuel dans les relations internationales, et le retour de conflits armés entre puissances régionales et même internationales, mais limités dans leurs ampleurs en raison de la prolifération des armes nucléaires.


Disclaimer: Les positions contenues dans cet article n'engagent que son auteur.


Pour aller plus loin


2021. De Trump à Biden : Quel Leadership Américain ? - Le Dessous Des Cartes | ARTE. https://www.youtube.com/watch?v=h-hosZWN7QM


‘Est et Ouest – un état de la question | Visegrád Post’. https://visegradpost.com/fr/2021/02/02/est-et-ouest-un-etat-de-la-question/


‘M. Le Drian : “La pandémie est la continuation, par d’autres moyens, de la lutte entre puissances”’. 2020. Zone Militaire. http://www.opex360.com/2020/04/20/m-le-drian-la-pandemie-est-la-continuation-par-dautres-moyens-de-la-lutte-entre-puissances/



‘Plan de relance: l’Union Européenne entre fractures et relance’. Challenges. https://www.challenges.fr/politique/plan-de-relance-lunion-europeenne-entre-fractures-et-relance_720065


‘Stratégie et Anticipation : Comment Gérer Une Crise. Xavier Guilhou’. Ausha. https://podcast.ausha.co/conflits/strategie-et-anticipation-comment-gerer-une-crise-xavier-guilhou


‘Synthèse 2020 : Année noire pour l’Europe de la Défense – Meta-Defense.fr’. https://www.meta-defense.fr/2020/12/24/synthese-2020-annee-noire-pour-leurope-de-la-defense/


‘Vaccin russe Spoutnik V : l’Autriche veut en produire, la Hongrie en commande’. La Tribune. https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/vaccin-russe-spoutnik-v-l-autriche-veut-en-produire-la-hongrie-en-commande-877108.html


‘Vaccins: «L’Europe a manqué de réactivité et de combativité»’. LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/vaccins-l-europe-a-manque-de-reactivite-et-de-combativite-20210202

114 vues2 commentaires

2 Comments


Claire Suchel
Claire Suchel
Feb 19, 2021

L'Afrique m'apparaît aussi comme un terrain de tensions et de compétition exacerbées entre grandes puissances. La Chine y avance ses pions méthodiquement et elle a été la première à diffuser son vaccin dans ce continent. La France est toujours engagée (et empêtrée) dans la guerre anti-terroriste au Sahel. La Turquie et la Russie, plus l'Egypte, s'affrontent par chefs de guerre interposés en Libye. La rivalité est très vive aussi entre les Etats leaders ou émergents (dont l'Inde) pour l'accès aux matières premières (comme en R.D.C.) et l'acquisition des terres agricoles.

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Antoine Renaux
Antoine Renaux
Feb 22, 2021
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Merci pour ce commentaire Claire. Les enjeux de puissances sont en effet très nombreux, entre le jeu des puissances en Afrique (nous avons pu constater avec Samuel les enjeux chinois en Afrique, c'est fascinant), l'affrontement des puissances régionales au Moyen-Orient (Russie, Turquie, mais aussi Arabie Saoudite et Quatar) et en Asie (Inde, Chine), sans compter la RDC qui est certainement le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Tous ces enjeux sont autant d'opportunités d'articles dans un futur proche.

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