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Photo du rédacteurSamuel Suchel

La stratégie européenne sur les vaccins: approche payante ou fiasco bureaucratique ?

Dernière mise à jour : 19 févr. 2021


Alors que la course à la vaccination s’intensifie dans le monde, les tensions au sein de l’Europe liées aux difficultés d’approvisionnement des précieuses doses grandissent. A la date de rédaction de cet article, le 8 février 2021, trois vaccins (BioNTech-Pfizer, Moderna et AstraZeneca) sont autorisés à être administrés dans l’Union européenne et ont fait l’objet de commandes massives plusieurs mois auparavant. Pourtant, nombreux sont ceux qui critiquent la lenteur du processus d’immunisation des citoyens de l’UE. A titre de comparaison, au 1er février, l’UE n’en était qu’à 3 doses administrées pour 100 habitants contre près de 15 au Royaume-Uni et presque 10 aux Etats-Unis.


Outre la vitesse du processus de vaccination, une autre différence majeure existe entre l’Union Européenne et le reste des pays développés : l’existence d’une stratégie commune de validation, de commande et d’administration des vaccins. Unique du fait de son ampleur et de son degré d’intégration, cette stratégie est louée par ceux qui la considèrent comme le symbole de la solidarité européenne, et décriée par ceux qui l’accusent d’être à l’origine des retards de la campagne vaccinale. Cet article a pour but de vous aider à y voir plus clair sur l’utilité, mais également les controverses qu'implique cette évolution majeure de la coopération européenne.


Ce qu’il faut savoir sur la stratégie européenne des vaccins


Genèse et objectifs


La stratégie a été officiellement présentée par la Commission européenne le 17 juin 2020 et répond, selon sa présidente Ursula von der Leyen, à la nécessité de « conjuguer science et solidarité ». En clair, il s’agit de relever trois défis majeurs : S’assurer de la fiabilité des vaccins distribués en Europe (1), garantir à l’ensemble des Etats membres un accès équitable et abordable à la vaccination (2), coordonner les stratégies de vaccination à l’échelle européenne (3).


Moyens d’action


Afin de réaliser ses objectifs, l’UE agit sur deux fronts. Tout d’abord, elle signe des contrats d’achat anticipés avec les producteurs de vaccins. En d’autres termes, la Commission verse des fonds à l’avance aux laboratoires, permettant à ces derniers d’accélérer le processus d’élaboration et de production des vaccins. En retour, les producteurs doivent garantir un certain nombre de doses à l’Union Européenne, lesquelles seront distribuées équitablement aux Etats membres en fonction de leurs besoins et de leur population. Les vaccins sont donc finalement vendus aux Etats membres selon les tarifs convenus au préalable entre la Commission et les fournisseurs. Le second moyen d’action consiste à adapter les règles européennes à l’urgence de la crise sanitaire dans le but d’accélérer l’autorisation et donc la mise à disposition des vaccins.

Chiffres clés


Selon la Commission européenne, l’UE a conclu un accord avec 6 fournisseurs potentiels, garantissant ainsi un approvisionnement de plus de 2,3 milliards de doses. Rappelons que la population de l’UE est d’environ 445 millions d’habitants. Enfin, pour précommander les doses qui seront ensuite achetées par les Etats membres, l’UE dispose d’une enveloppe de 2,7 milliards d’euros, correspondant à l’Instrument d’Aide d’Urgence.


Une stratégie salvatrice pour l’unité et la solidarité européenne


Pour bien comprendre l’intérêt d’une approche européenne, il faut concevoir la crise comme un problème mondial et non national. En effet, si elle peut paraître abstraite, la stratégie européenne sur les vaccins constitue en réalité un véritable pilier pour la stabilité de l’Europe en ces temps de crise sanitaire. Tout d’abord, un accès équitable des Etats membres à la vaccination a permis d’éviter une « guerre d’approvisionnement » intra-européenne qui aurait eu des conséquences désastreuses, notamment pour les moins riches d’entre eux. En l’absence de précommandes paneuropéennes, les Etats se seraient retrouvés en situation de concurrence pour l’obtention des vaccins, ce qui aurait considérablement complexifié le processus d’immunisation du continent. De plus, la négociation de commandes communes a considérablement réduit le prix d’achat des doses. Comme le souligne une enquête du journal Le Monde, l’UE a obtenu ses vaccins moins chers que les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni. Ces prix inférieurs s’expliquent en partie par le volume élevé de doses négocié au nom des “27”.


Cependant, les principaux avantages d’une telle approche ne se mesurent pas sur le court terme, mais plutôt sur le long terme. Il est important de garder à l’esprit que l’intégration politique et économique de l’Europe rend illusoire la pertinence d’une stratégie exclusivement nationale pour la gestion de la pandémie. Autrement dit, une politique de vaccination fragmentée au sein de l’UE aboutirait à un degré d’immunisation inégale des Etats européens, et laisserait donc planer la menace constante de nouveaux rebonds épidémiques. Une telle situation rendrait impossible le rétablissement du marché unique sur lequel est fondée l’économie européenne. Elle engendrerait ainsi inévitablement des déséquilibres majeurs et, à terme, un risque d’effondrement de l’ensemble de l’espace européen. A l’inverse, une approche coordonnée permettra de relancer les échanges intra-européens et favorisera donc la reprise de la vie économique et sociale.


Une coopération européenne à la hauteur de la pandémie?


Les doutes quant à la capacité de l’UE à gérer efficacement l’approvisionnement du continent en vaccins ne sont pas entièrement infondés. Certains Etats membres ont d’ailleurs considéré la possibilité de faire cavalier seul, avant de se rétracter. Outre le caractère relativement opaque des négociations entre la Commission et les laboratoires, certains dysfonctionnements pointent les limites de la stratégie européenne en sa forme actuelle. Le premier d’entre eux concerne la fameuse polémique autour du retard dans les livraisons initialement prévues des doses du vaccin AstraZeneca. En effet, le laboratoire ne livrera finalement que 40 des 80 millions de doses programmées pour le premier trimestre 2021, provoquant la colère de nombreux responsables politiques. Les raisons de ce retard sont multiples et la Commission européenne a vigoureusement rejeté toute responsabilité en la matière. Toutefois, certains experts soulignent la signature plutôt tardive des accords entre Bruxelles et ses fournisseurs de vaccins. A titre d’exemple, alors que la Grande Bretagne s’était entendue avec l'entreprise AstraZeneca dès le mois de mai 2020, l’accord avec la Commission européenne n’a vu le jour qu’au milieu du mois d'août de la même année. Il faut néanmoins rappeler que, comme le soulignent plusieurs hauts responsables de l’UE, le principe du “premier arrivé, premier servi” ne s’applique pas dans de telles circonstances.


En outre, il est reproché à l’UE d’avoir fait preuve d’un certain « nationalisme européen » en ayant, dans un premier temps, privilégié les négociations auprès de fournisseurs locaux comme Sanofi au détriment de vaccins au stade de développement jugé plus avancé. Un autre aspect négatif de l’approche européenne, pointé par certains observateurs, est le budget assez limité dont dispose la Commission pour négocier les précommandes. Repris par Euronews, le chercheur Uri Dadush a par exemple mis en perspective les 2,7 milliards d’euros disponibles pour les vaccins aux 750 milliards débloqués pour le fonds de relance européen. Enfin, en tant qu’organisation internationale, les décisions prises par l’UE sont soumises à des processus plus longs et complexes que ceux des Etats. Ce manque d’agilité s’avère préjudiciable en temps de crise où la rapidité et la fluidité des décisions sont des éléments essentiels.


Conclusion


Il semble prématuré, à ce stade, de dresser un bilan définitif de la stratégie vaccinale communautaire. Cela étant, la simple existence de cette initiative incite à l’optimisme. Elle prouve que l’Europe a su faire preuve d’équité et de solidarité à l’heure où la pandémie exacerbe les tensions internationales. De plus, cette initiative permettra sans doute à l’Union européenne de disposer des doses et des moyens logistiques nécessaires à la mise en œuvre d’une vaccination coordonnée de l’ensemble de sa population. Un tel succès représenterait déjà un exploit compte tenu de sa diversité en matière d’infrastructures de santé. Toutefois, ce constat ne doit pas masquer l’ampleur du travail restant à mener. La solidarité européenne pour la vaccination ne peut se cantonner à une alliance de circonstances. Elle doit au contraire poser les bases d’une véritable « Europe de la santé », permettant une meilleure coordination des politiques nationales, mais surtout une plus grande autonomie stratégique du continent pour les ressources telles que les vaccins, les masques, ou les médicaments. Cela passera en grande partie par une augmentation substantielle et un ciblage de l’investissement public dans la recherche et développement. Pour l’heure, comme le note Anne Bucher, ancienne directrice générale de la santé à la Commission européenne : « les pouvoirs publics en Europe se sont désengagés de la recherche en vaccins, les subventions passant de 23,2 millions à 1,9 millions (ndr : entre 2002 et 2008) ».


Disclaimer: Les positions contenues dans cet article n'engagent que son auteur.


Pour aller plus loin :

Enquête du journal Le Monde :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/03/vaccins-contre-le-covid-19-dans-les-coulisses-des-contrats-europeens_6068574_3244.html

Site de la Commission européenne :

https://ec.europa.eu/info/live-work-travel-eu/coronavirus-response/public-health/coronavirus-vaccines-strategy_fr

Euronews:

https://www.euronews.com/2021/01/29/why-has-the-eu-s-coronavirus-vaccine-rollout-been-so-slow

161 vues1 commentaire

1 Kommentar


jb.suchel
10. Feb. 2021

Cette gestion communautaire de la vaccination contre la covid 19 est encourageante. Si seulement elle pouvait créer un précédent pour une réponse commune aux deux autres grandes crises que sont le dérèglement climatique et l'accueil des migrants! C'est d'autant plus souhaitable que les liens entre les crises sanitaire, climatique et migratoire risquent de devenir de plus en plus nets.

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